Pour cette fin d'année 2015, je vous propose la lecture du texte que notre ami Jean-Pierre LABRU, renshi 7e dan, a consacré au rôle du Motodachi dans son blog Jibun no hana o sasake yo
Le Motodachi, l'Uchidachi ou le manager de la réussite en Kendô
Un Manager, tel que je le conçois, est un leader,
un facilitateur et un coach. Autant de notions dont on pourrait trouver nombre
de synonymes. C’est celui qui est responsable, ou « Accountable » (Cf. le « A »
du RACI), de la réussite de ce qui est entrepris.
Le manager en Kendô, une nouvelle notion ? …pas
vraiment en fait !
Que dire de l’Uchidachi du Kendô no kata, si ce
n’est qu’il est le manager de la bonne réalisation et donc du bon apprentissage
des katas.
Etonnant, ce concept de dire que d’une bonne réalisation des katas
en découle un bon apprentissage, ne trouvez vous pas ?
En effet, on pourrait
croire qu’il faut avoir bien appris pour bien réaliser.
Voici déjà une question ! L’Uchidachi, le Motadachi,
le Manager pose les bonnes questions et fait se poser les bonnes questions aux
Shidachi, Kakari, élèves.
Une des questions que doit se poser Kakari :
Où
Motodachi veut il m’amener ?
Dans les Katas, on a coutume de dire que Uchidachi
donne notamment la bonne distance mais on entend aussi que le Shidachi doit
toujours s’assurer d’être à la bonne distance. Alors qui de la poule ou de
l’œuf ?
Voici typiquement une façon très japonaise de concevoir une notion, on
pourrait même penser que le concept est ambigu. En fait tout dépend du niveau
des deux protagonistes et surtout de la maturité du Shidachi. Plus le Shidachi
est avancé, plus il devra veiller, par lui-même, à une foule de détails qui lui
seront demandés tacitement par Uchidachi et en premier lieu : la distance.
Et inversement, lors des uchikomis, le Motodachi
doit faire d’autant plus d’effort pour s’adapter au partenaire que celui ci est
novice.
La distance en premier lieu, mais aussi le rythme,
la présentation des cibles sur son armure et une énergie communicative sont à
mes yeux les principaux éléments sur lesquels les efforts du Motodachi doivent
se porter.
Si on parle de distance, de cible et d’énergie
communicative on retrouve les trois éléments du kikentaï inhérents au rôle de
motodachi.
Le Kikentaï dans le rôle de motodachi du kirigaeshi
Nous savons tous que lors du Kirigaeshi, le
motodachi doit présenter sa tête à la bonne distance de frappe du kakari et
interposer son shinai lors de l’arrivée de la frappe tout en coordonnant son
déplacement avec celui de kakari.
Interposer son shinai se suffit pas à opposer
suffisamment de résistance, d’appui et donc de répondant au kakari afin qu’il
puisse repartir vers la frappe suivante. En effet, ce qu’il faut c’est au
moment de l’impact, délivrer également un te-no-uchi afin de réaliser un impact
en retour aussi puissant que la frappe. Pour ce faire, seul une synergie de
tout le corps peut donner suffisamment de puissance aux mains lors de l’impact
: un Kikentai.
Bien entendu, un kiaï sonore n’est pas attendu du
Motodachi.
Dans la variante du kirigaeshi en hiraki-ashi, le
Motodachi restant sur place, le kikentaï en question peut être tout à fait
délivré, le déplacement pourra être remplacé par un léger surbaissement à
l’impact.
En partant du Kirigaeshi, on peut décliner le
kikentai du Motodachi sur de nombreux exercices, valorisant ainsi l’implication
de Motodachi dans l’exercice demandé.
La connexion entre Motodachi et Kakari
Bien entendu, rien n’est possible sans
l’établissement d’un lien entre Motodachi et Kakari. D’ailleurs un excellent
exercice, pour ne pas dire le meilleur, sur la mise en place de ce lien, et son
perfectionnement, est la pratique des Katas.
En termes de rôle dans l’établissement de ce lien,
tout dépend des capacités des deux protagonistes à percevoir son partenaire et
par là même être en mesure de comprendre, lire, anticiper ses actions, son
rythme, sa distance, ses capacités. Imaginez vous quel « super pouvoir » vous
auriez si, à tout moment, vous étiez en mesure de connaitre, à coup sûr, ces
informations pour tout partenaire en face de vous.
Avec quelle facilité vous
maitriseriez toute situation !
De cette connexion, avec un peu de pratique, (soyez
patients mais persévérants) vous pouvez a minima savoir quand votre partenaire
est prêt à agir (se déplacer, attaquer, …). Par la suite, vous comprendrez ce
qu’il est capable de faire ou pas, certains même de ces états mentaux comme la
peur, le doute, l’hésitation et la perplexité (yotsu no byoki – les 4 maux du
Kendô) et utiliser ces informations à bon escient. Encore un peu plus tard,
vous pressentirez ce qu’il va faire ou même l’influencer dans ses choix en lui
faisant percevoir certaines informations servant vos propres intérêts.
J’ai remarqué qu’avec l’avancement dans la
pratique, on devient de plus en plus réceptif à une foule de détails,
concernant le partenaire mais pas seulement.
En effet, dans les keiko, certains
combats qui se passent aux alentours, on en ressent les énergies, kiaïs,
vibration des fumikomi,…
Les retardataires, on les voit tous arriver même si
ils essayent de rester discrets.
Il reste une question que je me pose toujours au
sujet de la qualité de cette perception :
Notre Kendô progresse-t-il car cette
perception augmente ?
Ou bien, cette perception augmente car notre Kendô
progresse ?
La droiture, la justesse, la vérité dans la mise en
situation
Le Motodachi, de tous temps et plus encore quand
l’armure n’existait pas encore, se doit de recréer le plus fidèlement possible
la situation de combat.
Plus cette situation est rendue « vraie » et plus
ce qu’il veut transmettre au Kakari sera mieux assimilé et utilisé par la
suite.
Combien de Uchidachi viennent « trouver » le bokken
du Shidachi pour le suriage du 5e Kata ?
Allez, je me lance dans une statistique, sur les
1er à 7e dan que j’ai vu, et même moi quand je n’y prête pas attention, je
dirais : plus de 95% ne viennent pas sur le Men. Soit la distance est trop
éloignée pour avoir réellement eu l’intention d’atteindre le Men, soit la
trajectoire est biaisée pour « être sûr de faire le bruit attendu ».
Mais désolé de vous le dire, c’est très souvent les
deux à la fois !!!
Comme résultat, la distance est faussée et la
sensation dans les mains, trop lourde, n’est pas la même ; voire même, le
Shidachi ne fait même plus suriage, il attend simplement qu’on vienne choquer
son sabre.
Comment voulez vous acquérir la technique de
suriage dans ces conditions ???
Toutes les situations créées par le Motachi se
doivent de pallier à cet aspect humain. En effet, on altère systématiquement
son geste ou son attitude quand on connait « la fin de l’histoire », à moins
qu’on y prête une attention et une volonté sans faille.
En synthèse : La genèse et l’essence du motodachi
Le rôle de leader de Uchidachi dans les Katas doit
être pris comme un exemple, une trajectoire, un fil conducteur, pour
perfectionner continuellement et à chaque seconde, le rôle de Motodachi dans
son Kendô en général.
Tout commence lors de la cérémonie d’entrée dans le
dojo du Uchidachi suivi du Shidachi, puis du za-reï (salut en seiza face à face
avant la pratique des katas).
Uchidachi à tout moment va donner le « top départ »
pour chaque action, oui mais quand ? La réponse est portant simple, au moment
opportun. Ce moment peut dépendre de tout élément qui sera pris en compte par Uchidachi,
qui sait, jusqu’à avoir le silence dans la salle ou même quelque chose de plus
intrinsèque : qu’il sente son Shidachi tout simplement prêt à « y aller ». Uchidachi,
ayant la responsabilité de la réussite de la démonstration des katas, devra
prendre en compte, juger ou ressentir, tout élément contextuel, et agir en
conséquence.
Une fois que la perception est bonne, le Motodachi
doit réaliser l’action la plus adaptée au contexte et au niveau de son
partenaire. Il recrée ainsi la situation la plus réaliste et la plus propice
pour apprendre.
L’exemplarité est le concept qui me vient ensuite
mais à partir du moment où la perception et l’action sont correctes, on peut
dire que l’exemplarité est en très grande partie satisfaite.
Voilà, après avoir écrit ces lignes, je déclare
2015 comme l’année du Motodachi !!!